Génocide ordinaire. Maragha, le 10 avril 1992


Le script du film documentaire

Ce film est une accusation. Une accusation de génocide perpétré dans un des villages du Haut Karabakh, à Maragha. Madame Caroline Cox, Vice Speaker de la Chambre des Lords de la Grande Bretagne qui s’y est rendue deux jours après la tragédie, l’a qualifiée de Golgotha contemporain plusieurs fois répété.

C’est le Nouveau Maragha, habité par seulement 60 familles, rescapées du Golgotha contemporain qui sont restées vivre dans le Haut Karabakh. Maragha était un des villages arméniens les plus prospères de la région de Martakert, riche en vignobles réputés.

Les tours pétrolières se côtoyaient et un oléoduc traversait le village… Maragha se trouvait non loin du centre administratif, Mir Bachir, ville pétrolière. Personne n’aurait cru que ce voisinage dangereux deviendrait fatal pour ce village.

Le village de Maragha a été fondé sur le territoire d’une ancienne habitation arménienne. Au milieu du 19ème siècle les Arméniens immigrés de la Perse s’y sont installés. Au début des années 1990, la population de Maragha atteignait 6500 personnes, y compris les rescapés des massacres et les déportés suite aux pogromes arméniens des villes azerbaïdjanaises eu lieu de 1988 à 1991.

C’est le chemin que les habitants de Maragha empruntaient souvent dans leur vie d’autrefois. Ils atteignaient la fourche et tournaient ensuite à droite pour continuer en direction du village. Maintenant ils ne peuvent plus emprunter ce chemin, car leur village est en occupation et demeure au-delà de la frontière coupant le présent du passé. Ce qu’ils peuvent faire maintenant, c’est de contempler leur village de loin.

Le printemps 1992 était la période la plus active de l’agression azerbaïdjanaise vis-à-vis du Haut Karabakh se trouvant en blocus. Parallèlement à l’écroulement de l’Etat soviétique, tout le potentiel militaire de l’armée soviétique localisé dans la région, casernes, équipements, etc., passait entre les mains de l’armée de la nouvelle République d’Azerbaïdjan, des bandes azerbaïdjanaises, du Front national et du détachement de la milice spécialisée dans les opérations paramilitaires.

En même temps le désarmement des Arméniens du Haut Karabakh se poursuivait. Le 19 mars 1991 le journal « Hayastani Hanrapetoutyun » a publié des données portant sur la répartition des armements faite par le Département transcaucasien de l’approvisionnement en équipements et matériels militaires du Ministère de l’intérieur entre les Républiques Soviétiques d’Azerbaïdjan et d’Arménie.

Le Haut Karabakh vivait une véritable catastrophe humanitaire. Blocus, pénurie d’énergie électrique, de gaz d’eau et de produits alimentaires, épidémies… Bombardements, centaines de victimes. Villages arméniens vidés, réfugiés arméniens par milliers, prisonniers de guerre et portés disparus par centaines, suite à l’opération cruelle appelé « Koltso ». Communications coupées avec le monde extérieur, guerre. C’est la réalité dans laquelle vivait le Haut Karabakh dans les années 1991-1992. Mais pour les habitants de Maragha et pour ceux de bien d’autres villages la guerre avait commencé bien avant : après les pogromes de Soumgaït de 1988.

Tous les villages du Haut Karabakh, frontaliers à l’Azerbaïdjan, étaient régulièrement attaqués par les bandes de brigands. Assassinats impunis des habitants de ces villages ou leurs enlèvements, prise d’otage, tortures et humiliations, enlèvement de bétail, vols, pillages et massacres… Politique de terreur menée par les autorités de l’Azerbaïdjan et soutien évident des bandits par le Kremlin et personnellement par Mikhaïl Gorbatchev. Silence de la communauté internationale… Mais rien ne pouvait obliger les Arméniens du Haut Karabakh à quitter leurs maisons. Ils continuaient à vivre et à travailler et, ont été contraints de prendre des armes dans leurs mains pour défendre leur droit de vivre et de travailler dans leur patrie. En été 1994 le Secrétaire d’Etat de la République d’Azerbaïdjan Madame Lala Gadjiéva a déclaré : « Pendant plus de cent jours nous bombardions Stépanakert de différentes positions, mais les Arméniens n’ont pas voulu quitter leurs maisons ».

Dans la nuit du 26 février 1992 le village de Maragha a été attaqué. Cette attaque sans précédent se distinguait par sa force et son organisation.

Les témoignages des habitants de Maragha lèvent toute ambiguïté et confirment que les crimes accomplis le dix avril étaient programmés pour le 26 février.

Dans la nuit du 26 février 1992 un autre crime a été accompli par l’Azerbaïdjan près d’Aghdam, mais cette fois-ci contre ses propres citoyens qui avait quitté Khodjaly par le couloir humanitaire laissé par les Arméniens. Il existe un lien très étroit entre ces deux crimes.

Le seul aéroport du Haut Karabakh, l’une des positions militaires, aussi bien que l’une des plus grandes bases militaires de l’armée azerbaïdjanaise se trouvaient à Khodjaly. Pour le Haut Karabakh en plein sang la suppression de cette position et la percée du blocus aérien avaient une importance fatale. L’Azerbaïdjan était au courant aussi bien de l’opération que les forces de défense du Haut Karabakh préparaient que de l’existence du couloir humanitaire laissé par les Arméniens pour les habitants de Khodjaly, restés au cœur des actions militaires. Les habitants qui avaient pu quitter Khodjaly ont ensuite été fusillés cyniquement près d’Aghdam par leurs compatriotes mêmes.

Les autorités politiques de l’Azerbaïdjan ont ainsi commis une double erreur dans un seul objectif de compromettre les Arméniens et de mener une propagande anti-arménienne non seulement à l’intérieur de leur pays et dans la région, mais aussi dans le monde entier.

L’objectif n’étant pas atteint les pouvoirs azerbaïdjanais ont entrepris une deuxième attaque. Un petit groupe d’habitants de Maragha défendait le village. Le Golgotha contemporain s’est produit le 10 avril tôt le matin.

Maragha était condamné. Maragha était condamné à mort à cause de deux facteurs : politique anti-arménienne et intérêts pétroliers. Ces deux facteurs étaient à l’origine même de la formation et du développement de l’Etat azerbaïdjanais depuis 1918. En avril 1992 la population arménienne de Maragha fut sacrifiée aux intérêts énergétiques globaux, pour une seule raison de se trouver dans une zone pétrolière.

Un des membres de la Présidence du Conseil suprême du Haut Karabakh de 1992 à 1995, Monsieur Valéry Ghazaryan évoque ce dernier facteur dans son article publié dans le mensuel « Aniv », numéro 2, 2010. « Le problème et le conflit avaient cessé d’avoir une importance locale, car il ne fallait pas permettre que les Arméniens puissent exercer un contrôle sur la ville pétrolière de Mir Bachir »,-écrit-il.

Pendant plusieurs heures de suite les pseudo-soldats azerbaïdjanais étaient lancés dans une bacchanale sanglante. Mais vers minuit le village a été libéré. Les gens qui sont venus le libérer et les habitants sauvés par miracle ont découvert un enfer sur terre. Le lendemain les victimes ont été inhumées.

On saura trouver peu d’épisodes semblables à Maragha dans toute l’histoire de l’humanité. Toute la cruauté et la haine accumulées après les génocides de Bakou et de Soumgaït, la résistance des Arméniens ne voulant pas quitter leurs terres, l’intention d’exterminer les Arméniens le plus vite possible et d’occuper leurs territoires ont provoqué la tragédie de Maragha sous forme de tortures inimaginables, d’assassinats, d’humiliations… Afin d’épargner le téléspectateur même aujourd’hui, après 18 ans, nous ne présenterons pas les cas les plus cruels de tortures et d’assassinats de personnes âgées, de femmes et d’enfants. Mais mêmes les témoignages apportés par les témoins oculaires peuvent être déséquilibrants.

Razmik et Sveta Movsisyan, mari et femme. Leur destin frappe de frayeur toute personne normale. Les époux ont été pris en otage, l’adjoint du directeur de la prison de Mir Bachir les tenaient en laisse, comme des chiens, et les obligeait à se déplacer à quatre pattes. Il ne leur donnait pas à manger. Ensuite les bourreaux privés de traits humains ont tué la femme et ont essayé de faire manger sa chaire à son mari…

Le sort de la famille Poghossyan n’est pas meilleur. Les soeurs Zariné et Kariné ont été prises en otage avec leurs petits enfants. Leurs maris sont encore portés disparus.

Alvina Baghdasaryan, institutrice. Elle a été attachée avec une corde contre la chaise, a été torturée, humiliée et brûlée vive.

Le village de Maragha du10 avril 1992 c’est l’histoire des familles qui ont été exterminées ou prises en otage. Manya Aghadjanyan a été prise en otage avec ses trois fils. Ce n’est qu’un de ses fils qui a réussi à se sauver. Il a raconté comment son frère Gaguik était mort.

Oulyana et Liana Barseghyan, deux sœurs de 6 et de 8 ans. Elles ont été séparées de leurs parents et ont vécu en otage pendant plus de 2 ans.

Toute la famille Aghadjanyan a été prise en otage et exterminée.

Le 10 avril 1992 dans le village de Maragha de la région de Martakert de la République du Haut Karabakh a été réalisé un acte génocidaire. Les gens étaient tués uniquement pour leur appartenance nationale. Ceux qui échappaient à la mort, étaient pris en otage avec toute leur famille, y compris les enfants. Les enfants étaient séparés de leurs parents et ils étaient détenus dans différents endroits. Ce jour tragique du Golgotha contemporain 50 sur 118 habitants du village ont été tués, plus de 60 ont été pris en otage. Une perspective tragique de tortures, d’humiliations et d’avenir incertain se dessinait pour ces derniers. Ceux qui ont par la suite été libérés, avaient pour la plupart des cas des handicaps psychiques et n’ont vécu qu’un ou deux ans après la libération.

Selon les témoins oculaires un soldat azerbaïdjanais sur dix était en possession non seulement d’une arme à feu, mais aussi d’un yatagan, sabre utilisée par les bourreaux turcs au début du 20ème siècle pour réaliser le génocide du peuple arménien.

Les massacres de Maragha ont prouvé que les dirigeants d’Azerbaïdjan tendaient à exagérer l’aspect religieux du conflit arméno-azerbaïdjanais. Incapables de pratiquer une quelconque religion, les pouvoirs azerbaïdjanais essayaient d’attribuer aux massacres sanglants une raison religieuse. Les barbares azerbaïdjanais laissaient des coupures ou des brûlures en forme de croix sur les corps des Arméniens vivants ou tués pour montrer qu’eux, les Azerbaïdjanais, étaient en première ligne de front pour lutter contre les infidèles, les giaours. En fait, c’est le désir de solidariser le monde musulman autour de leurs crimes qui se cache derrière tout cela. Les pouvoirs azerbaïdjanais s’efforcent de diffuser dans le monde musulman le slogan « Mort aux Arméniens » scandé à Soumgaït, pour obtenir son soutien dans la poursuite de la politique turque du génocide arménien.

Maragha est encore un autre crime contre l’humanité accompli par l’Azerbaïdjan qui n’a jamais été puni, ni condamné. Les efforts de la Baronne Caroline Cox et de l’organisation « Solidarité Chrétienne Internationale » d’attirer l’attention de la presse et de la communauté internationales sur les massacres de Maragha se sont heurtés la solidarité de tous ceux qui partageaient des intérêts pétroliers. Cette solidarité a poussé et pousse toujours l’Azerbaïdjan à poursuivre sa politique agressive anti-arménienne.

Sur un des réseaux sociaux très connus les Azerbaïdjanais ont posté une vidéo qui montre les barbaries exercées par les bourreaux le 10 avril 1992 à Maragha. Les criminels qui ont exécuté des personnes âgées, des femmes et des enfants ont par la suite été décorés par l’Etat azerbaïdjanais. La glorification des bourreaux et leur recyclage en héros nationaux deviennent une tradition en Azerbaïdjan actuel où l’assassinat de l’Arménien en pleine nuit est un exploit et la destruction du patrimoine culturel arménien – une politique nationale.

Le Nouveau Maragha est un village de Karabakh comme les autres. C’est ici que beaucoup d’anciens habitants de Maragha, privés de leur petite patrie, ont commencé une vie nouvelle. La plupart d’entre eux non aucune nouvelle de leurs proches ou compatriotes pris en otage il y a 18 ans. Le souvenir du Golgotha contemporain s’est incarné dans ce monument modeste. Des fleurs sont déposées ici en souvenir des victimes du 10 avril 1992 dont les tombes sont restées à l’ancien Maragha. Ce film est un hommage à des dizaines d’habitants de Maragha, torturés ou massacrés, qui sont restés pour toujours en otage…

De tels crimes comme celui de Maragha n’ont pas de prescription. Ce film est un appel lancé à la communauté internationale, un rappel que l’impunité des crimes contre l’humanité entraîne leur répétition. Les Arméniens du Haut Karabakh ont payé de leur sang et de milliers de vies pour leur liberté et leur droit de construire leur propre Etat indépendant. La tragédie de Maragha est une preuve convaincante que le pétrole est la seule valeur pour l’Azerbaïdjan et l’arménophobie est sa vraie religion. Doivent le savoir aussi bien les hommes politiques qui insistent sur l’annexion du Haut Karabakh à l’Azerbaïdjan que les sociétés pétrolières qui ferment les yeux sur les crimes de l’Azerbaïdjan au profit de leurs bénéfices.

Maragha attend encore son évaluation juridique et politique.

Le « Nürnberg » de Maragha est à venir.

Titres

01.38
– Une tour pétrolière s’élevait. Derrière il y avait une allée où ils avaient installé deux canons. Nous les avons découverts quand nous sommes partis en reconnaissance. Les canons étaient en service, ils y étaient installés pour défendre la tour contre les attaques éventuelles.
– Elle était où, cette tour ?
– Une route séparait notre village de la ville de Mir Bachir, de l’autre côté de la route, c’était la frontière, la tour se trouvait au bout de la route.

03.03
La patrie, c’est la patrie. Tout ce que vous voyez, c’est du travail artisanal, j’ai fait par mes propres mains. Mais si un jour quelqu’un me dit que mon village est libéré et qu’il y a une possibilité d’y retourner, je partirai sans tarder. Tout d’abord, parce que les tombes de nos ancêtres sont là-bas. Mais aussi parce que j’y ai vécu 40 ans, et dans mes rêves j’y retourne toutes les nuits. Si le village est libéré un jour, j’y irai le lendemain même et je démarrerai à zéro malgré toutes les difficultés, de toute façon, c’est ma patrie.

03.44
– La route de droite est celle qui menait autrefois dans notre village. Cette route nous a servi pendant de longues années.
– Je voudrais bien y revenir.
– J’y suis né, j’y ai grandi. Ceux qui sont loin, c’est facile pour eux d’oublier. Mais moi, comment pourrais-je oublier, si je le vois tous les jours, mon village.
– Je regarde et j’essaye de situer mentalement ma maison. J’ai beaucoup de nostalgie. Je voudrais être maintenant dans notre village, dans ma maison.

05.48
Après les pogromes de Soumgaït des incidents avaient lieu très souvent. Ils enlevaient du bétail ou arrêtaient les voitures et les confisquaient. Nous étions toujours très tendus.

Le premier bombardement s’est produit en janvier 1992, après quoi les gens se sont réfugiés dans les sous-sols. On avait construit des barricades avec des sacs remplis de sable, pour se défendre contre les tirs, on avait creusé des refuges souterrains. Tantôt ils attaquaient les fermes, tantôt ils agressaient les viticulteurs, tout le temps il y avait des incidents. En automne 1991 on a eu une première victime : un paysan a été tué au volant de son tracteur.

08.18
Le 25 février ils se sont mis à nous bombarder, ce bombardement était en lien avec les événements de Khodjaly. Je comptabilisais le nombre de bombes qui touchaient le village : il y en avait 5 ou 6 chaque minute, le bombardement s’est poursuivi jusqu’au matin. Le 26 février tôt le matin, ils ont attaqué le village. Ce jour-là, nous avons réussi à montrer une résistance. Ils sont partis en laissant une trentaine de victimes derrière eux.

10.58
Le jour à peine levé, ils se sont mis à nous bombarder de différents systèmes d’artillerie. Au début ils utilisaient le système « Alazan » dont les soviétiques se servaient pour lutter contre la grêle, ensuite ils ont eu recours aux chars et aux canons. Les gens, tous en panique, ont commencé à quitter le village, les enfants dans les bras, en prenant toute sorte de moyen de transport pour aller se réfugier dans des villages situés plus haut. Sur toute la longueur de la route qui menait dans le village le plus proche, situé à 4 kilomètres, on voyait des gens marcher, puisque toutes les voitures blindées étaient à ce moment-là en première ligne de front où les hommes défendaient le village, ceux parmi les hommes qui étaient restés à Maragha, aidaient les femmes, les enfants et les personnes âgées à quitter le village.

11.50
Le 10 avril nous étions chez nous. Nous avions rempli les sacs de sable et nous avions bouché les fenêtres avec. Toutes les femmes du quartier, jeunes ou âgées, s’étaient réunies dans notre cour. Le 10 avril, à 5 heures du matin, les azerbaïdjanais ont bombardé Maragha. Mon mari et mes fils étaient partis défendre le village. Pendant la bataille qui a eu lieu près du cimetière du village la balle avait percé la joue gauche de mon mari et était sortie par la joue droite, mais il avait bandé la plaie et il avait repris l’arme dans la main. Il y a trouvé sa mort. Il y avait des gens, femmes et enfants, qui n’avaient pas pu fuir et qui étaient restés dans les tranchées. Par la suite, ils ont été pris en otage. Certains enfants ont été battus, tués, brûlés vifs, d’autres ont été pris en otage. Les jeunes femmes et les filles ont subi n’importe quoi, les femmes qui ont ensuite été échangées contre les prisonniers de guerre azerbaïdjanais, avaient des des traces de brûlures sur leurs corps.

Aucun village du Haut Karabakh n’a souffert autant que Maragha. Nulle part les femmes et les enfants n’ont été torturés et tués aussi cruellement qu’à Maragha. Personne n’a subi ce que les habitants de Maragha ont subi. Ils ont mis le feu aux maisons, des enfants ont été pris en otage, les vieux ont été brûlés vifs. Un homme a été décapité et ils ont exposé sa tête sur la place de Maragha.

Après tout cela comment se réconcilier avec eux, c’est impossible. Que les gens disent ce qu’ils veulent, mais il est impossible de se réconcilier avec ces barbares. Je suis une mère, j’ai perdu mon mari et mon fils, il y en a beaucoup comme moi parmi les habitants de Maragha qui ont perdu leurs proches, personne ne sera d’accord de se réconcilier avec eux.

14.25
Le 10 avril j’étais dans le village. Mon mari était parti à la frontière. Il est rentré à 10 heures du matin et il nous a dit de se préparer au départ, car ils reculaient et ne pouvaient plus défendre le village et que les azerbaïdjanais allaient attaquer. Mon beau-père, ma belle-sœur avec ses enfants et moi, nous sommes partis à pied en direction du village Maghavous.

15.02
Vers midi ils ont traversé la ligne de front. D’abord les chars, ensuite les bandes. Ils se sont approchés du village de différents côtés. Ils ont d’abord mis le feu aux maisons. Ils ont tué ou pris en otage toute personne rencontrée sur le chemin. Beaucoup de gens avaient creusé des tranchées dans leurs jardins pour s’y réfugier au moment des bombardements. Je ne connais pas le nombre exact des gens qui étaient dans lea tranchées, mais ils les ont tous pris en otage.

16.09
Les gens qui étaient restés dans le village, c’étaient plutôt des vieux, des femmes et des enfants ou des familles. Naturellement, les soldats n’y étaient pas. Et si les parents étaient restés, leurs enfants aussi, parfois trois ou quatre, étaient restés. Donc si les parents ont été tués, les enfants ont été tués aussi. On avait par exemple trouvé le cadavre d’un jeune enfant dans les bras de sa mère, tuée elle aussi.

17.02
Nous étions obligés de reculer. Les hommes qui se battaient dans les directions du premier et du deuxième postes militaires ont reculé, les autres postes résistaient encore. Nous, on a reculé jusqu’au village de Margouchavan. Entre temps, les azerbaïdjanais avait atteint le village et quand nous y sommes arrivés, nous avons trouvé le village en feu. On entendait des cris, ceux qui n’avaient pas réussi à fuir le village, s’étaient retrouvés entre leurs mains. J’avais appelé un soutien, car on ne disposait pas de canons antichars, tandis que 16 unités techniques azerbaïdjanaises venaient en direction du village. Les mitrailleuses dont on disposait n’étaient pas le meilleur moyen contre les chars. Le même jour les azerbaïdjanais avais déjà entrepris trois autres attaques, mais sans chars, nous avions réussi à les repousser. Les chars azerbaïdjanais ont quitté le village une heure après l’attaque. Il s’est avéré par la suite que c’étaient les chars de la 4ème armée soviétique basés au régiment de Kirovabad. C’était sûrement une affaire d’un général soviétique qui s’est fait payé, parce qu’à cette époque ni l’Arménie, ni l’Azerbaïdjan n’avaient de chars.

20.23
A 11 heures du matin on s’est mis à récupérer les corps. L’un avait la tête coupée, l’autre avait été brûlé. Ils avaient fait entrer les gens dans une maison et ils l’avaient incendiée. Ils ont fait n’importe quoi. J’avais un ami, ils lui avaient coupé la tête avec une scie. Des témoins oculaires cachés qui les ont vus lui scier la tête, disent qu’ils criaient : « Tu étais responsable pour l’alimentation en eau, tu nous a jamais fourni l’eau ». Ils étaient pires que Hitler.

21.09
Nous avons découvert un village complètement détruit, incendié, pillé, avec une population massacrée : des cadavres jonchaient la terre, des corps décapités par-ci, des têtes par-là, des corps brûlés ou écrasés par un char. Ils avaient tué une mère et un fils, ils avaient d’abord décapité la femme, le fils avait essayait de se sauver, mais ils l’avaient attrapé et ils l’avaient tué. Beaucoup de familles ont péri de la sorte. Ils n’ont même pas épargné les vieux, ils avaient écrasé avec char un vieux malvoyant.

21.49
Ila sont entrés dans le village et même quand ils n’ont trouvé personne dans les maisons, ils ont tout cassé, parce que c’étaient des maisons qui avaient appartenu à des Arméniens, parce que c’était une terre qui avait appartenu aux Arméniens. C’est incroyable ! Ils se sont même vengés contre le bétail, parce que ce bétail avait appartenu à des Arméniens. Ils tuaient avec une cruauté particulière les chiens qui avaient pour seul défaut le fait d’avoir appartenu à des Arméniens. C’est inimaginable ! Il y avait un vieil homme dans notre quartier, il s’appelait Mouchegh, ils ont rattaché derrière un char et ils l’ont traîné 2 ou 3 kilomètres. Et alors ? Si on est chrétien, si on est Arménien, doit-on être massacré ?

22.34
Quand le jour s’est levé, nous sommes sortis voir ce qui s’était passé. Nous avons fait un tour du village et nous avons vu beaucoup de maisons incendiées, beaucoup de cadavres par terre, dans les rues et dans les maisons. Il y avait une femme malade, son fils faisait partie du groupe de défense et comme nous avions reculé, il n’a pas eu la possibilité de venir chercher sa mère pour l’aider à quitter le village. Les azerbaïdjanais ont tué cette femme dans sa maison même. Il y en avait ceux qui ont été éventrés, d’autres brûlés. Bref, nous avons commencé à ramasser les corps. On a fait venir des voitures et on a fait apporter des cercueils. On a creusé des fosses à Maragha et à Margouchavan et tous les corps ont été enterrés.

23.22
Quand Nous sommes arrivés à Maragha, on a vu des rivières de sang couler. Maragha avait disparu : les maisons avaient été pillées, brûlées, il y avait plus rien. Les gens avaient été massacrés.

Tant de jeunes ont été massacrés et nous, on leur doit des territoires ? Pour quelle raison ? Pourquoi leur dois-je quelque chose ? Quoi qu’il arrive je ne leur dois rien ! Même s’ils viennent maintenant me fusiller. Nous ne leur donnerons jamais nos terres ! Qu’est-ce qu’ils vont faire ? Ils vont nous déclarer la guerre ? Eh bien moi, je prendrai une mitrailleuse dans mes mains et j’irai les combattre. Jamais ils ne verront nos terres. Ils ont fait de cette histoire de Khodjaly une grande catastrophe, alors que ce sont ex qui ont massacré les Arméniens de Soumgaït, de Bakou, tous ces Arméniens, n’étaient-ils pas en chair et en os ? Et à la fin ils sont venus massacrer la population de Maragha et ils sont partis en détruisant tout sur leur chemin.

24.06
J’ai plusieurs photos de ce jour tragique. Des corps décapités, démembrés, brûlés figurent sur ces photos. J’ai une photo qui frappe de frayeur : un homme âgé figure une oreille de son voisin dans sa main figure sur cette photo. Je n’oublierai jamais ce que ces monstres ont fait. Les Azerbaïdjanais ont d’abord bombardé le village, ensuite des chars et des soldats sont arrivés. Quand nous étions encore là, nous avons vu des corps décapités. J’ai vu tout cela par mes propres yeux, des corps démembrés qui jonchaient la terre. Beaucoup de gens ont été brûlés. J’ai vu un cadavre d’une vieille femme brûlée vive. Ils ont ensuite dépouillé les cadavres de leurs biens de valeur, ont pillé et incendié les maisons. C’était un lieu de souffrance et de cruauté, tout comme Golgotha ou Jésus, notre Seigneur, fut crucifié.

28.00
Le 10 avril 1992 ma fille a été prise en otage avec ses enfants et sa belle-mère. Le 17 avril les azerbaïdjanais les ont libérés et mon mari est allé les chercher. De retour au village ils ont sauté sur une mine et ils ont tous été blessés, mon mari, ma fille et ses enfants. Ils ont par la suite été hospitalisés à Martakert. Ma fille a été opérée, son pied gauche a été amputé. Mais à cause d’une blessure grave de ventre elle est morte le lendemain de l’opération. Avant l’opération elle m’a demandé. « Qu’est-ce que c’était ? ». J’ai répondu que c’était une explosion d’une mine. Elle m’a demandé ensuite où étaient ses enfants. J’ai dit qu’ils étaient restés vivants et qu’ils allaient bien. L’un des enfants qui avait 2 ans, avait été blessé au dos, l’autre qui avait 4 ans, était blessé à la jambe. Pendant l’opération ma fille a demandé de lui faire voir les enfants, nous les avons conduits vers leur mère. Elle les a vus. Elle avait été monstrueusement torturée, les enfants ne l’ont jamais su, je ne le leur ai jamais raconté. Elle avait des brûlures sur la poitrine, des blessures sur le cou causées avec un couteau, elle avait les lobules coupés. Je lui ai demandé où étaient ses boucles d’oreille, elle a dit qu’ils les lui avaient arrachés.

29.44
A cette époque-là mon fils avait trois ans, ma fille, elle avait un an. Ils me les ont pris. Quand ils emmenaient les enfants, je criais comme une folle et maintenant je ne me souviens plus des détails. Quand ils nous forçaient à quitter le village, ils nous faisaient marcher ou ils nous traînaient. Et je me rappelle qu’au passage je reconnaissais les cadavres éventrés des habitants de notre village. J’ai vu ainsi plusieurs cadavres. Mon fils a été libéré suite à un échange contre un prisonnier Azerbaïdjanais. Mais nous ne retrouvions pas ma fille. Quand moi-même j’ai été libérée, nous leur avons transmis les données et la photo de ma fille, et ils nous ont répondu que mon enfant était à l’orphelinat. Pendant de très longs 19 mois nous ne cessions de leur fournir des preuves que c’était notre enfant. Le 21 octobre 1993 elle a été échangée. Elle avait trois ans. Naturellement, elle ne s’est pas approchée de moi, puisqu’elle ne me connaissait pas. Elle ne lâchait pas la main de la nourrice. Celle-ci m’accusait d’avoir abandonné mon enfant, elle pensait que c’était moi qui avais mis mon enfant dans l’orphelinat. A cet instant je ne ressentais plus rien, la seule pensée que j’avais, c’était de prendre mon enfant et de partir, et je ne répondais rien. Ma fille ne voulait toujours pas venir vers moi, elle a même pleuré après que nous nous sommes séparées de la nourrice. Par la suite, elle s’est adaptée petit à petit. Elle était apeurée, dès qu’elle voyait un militaire ou une voiture, elle se mettait à crier.

32.30
Trois frères ont été pris en otage avec leur mère. L’un de ces trois a été échangé contre un Azerbaïdjanais. Celui qui a été libéré, a raconté comment l’un des deux autres a été tué. On ne traite même pas les animaux de la façon dont ils avaient traité son frère. Ils ont été forcés à partir à Mir Bachir d’abord, à Barda ensuite, c’est là que nous avons échangé un otage Azerbaïdjanais contre sa libération. Il racontait que les Azerbaïdjanais les ont séparés à Barda. Il dit que son frère ne se laissait pas insulter et il leur répondait de la même façon. Il a été tué cruellement, ils l’ont rattaché aux railles et il a été écrasé par un train.

34.49
Beaucoup d’autres habitants ont été pris en otage en même temps que nous. Ils étaient de différents quartiers de notre village. J’ai vu comment ils amenaient en traînant mon beau-père et une femme âgée. Nous avons tous été amenés au centre du village, c’est là que je les ai vus la dernière fois. Ensuite on a entendu un tir, je me suis retournée, mais je ne les ai pas vus, je ne sais pas s’ils ont été tués. Je me souviens d’une maison dont les fenêtres du sous-sol étaient au niveau de la terre. Ils les avaient jeté dans les mauvaises herbes et les chardons et ils leur disaient. « Nous allons tirer sur vous, vos fils sont cachés dans cette maison, dites-leur de sortir ». Eux, ils ne répondaient rien. Ensuite ils m’ont amenée en traînant et un coup de feu a retenti. Je me suis retournée, ils étaient par terre. Mais plus tard, quand nos hommes sont revenus au village, ils n’ont pas trouvé leurs corps. Je ne sais pas s’ils ont été tués ou pris en otage, jusqu’à maintenant nous n’avons aucune nouvelle de mon beau-père.

Nous étions tous détenus dans le même lieu. Ils nous visaient et menaçaient sans cesse de nous éventrer. La seule chose à laquelle je pensais durant toutes ces heures-là, c’est d’être tuée tout de suite, sans que je sente quelque chose. A plusieurs reprises j’ai même pensé à me procurer secrètement une arme pour mettre fin à mes souffrances.

Le lendemain ils nous ont dit qu’ils allaient enterrer les hommes tués et que nous serions ensuite égorgés sur leurs tombes. Mais ils ne nous ont amenés nulle part, peut-être d’autres Arméniens ont été amenés, je ne le sais pas. D’autres gens sont venus chercher une des jeunes femmes de notre village, ils nous ont dit que c’était pour un échange.

Je n’ai jamais revu les gens qui y étaient avec moi, ils n’ont jamais été échangés, ils ne sont jamais revenus. Je ne sais pas s’ils ont vraiment été égorgés sur les tombes d’autres Arméniens ou s’ils ont été fusillés, je ne sais pas. Il y avait aussi bien des hommes que des femmes et des enfants, personne n’a été échangé. 10 enfants de notre village ont été pris en otage, tous les dix ont été échangés à différentes époques, même après des années. La belle-mère de ma sœur qui avait été prise en otage à Maragha, a été échangée après 28 mois de détention.

37.54
J’ai parlé à leur belle-sœur. Elle disait qu’elle avait été battue, torturée à plusieurs reprises. Ils l’ont vendue en esclavage, elle est passée de main en main, ils l’ont fait travailler dans leurs jardins sans donner à manger, ils l’ont violée. Après être échangée, elle voulait mourir, il a fallu faire des efforts pour qu’elle revienne en vie.

38.14
On n’a aucune nouvelle de tous ceux qui sont restés en otage. Il y avait une femme qui disait qu’ils avaient été battus et torturés plusieurs fois dans la journée. « Ce n’est pas à raconter, comment pourrais-je te raconter ce qu’ils ont fait. Je suis une femme et je ne pourrais pas dire devant toi ce qu’ils nous ont fait » – me disait-elle. Il y avait, par exemple, une autre femme qui s’appelait Rita Mnatsakanyan, quand elle a été libérée, elle avait partout des traces de brûlure, les barbares avaient éteint des cigarettes sur son corps. La plupart de tous ceux qui ont été libérés ne sont pas en vie aujourd’hui, certains ont vécu 5 ans, d’autres 1 an.

39.31
Ces sauvages ne se sont pas satisfaits de tirer sur les gens, ils ont ensuite poignardé les cadavres et c’est choquant. Ils éventraient les vivants aussi bien que les morts. Quand nous avons libéré le village, nous y avons trouvé des dizaines de cadavres poignardés et éventrés, avec des coupures en forme de croix sur les fronts et les poitrines.

Quand on les voyait avancer, on a remarqué à une distance de 150 à 200 mètres qu’un sur dix avait un yatagan à la main. J’ai donné l’ordre de tirer premièrement sur ceux qui avaient des yatagans, car leur métier c’était de couper en morceaux les Arméniens, vivants, morts ou blessés. C’étaient ceux qui étranglaient les gens et qui coupaient ensuite des croix sur leurs corps.

41.32
Après la chute de l’Union Soviétique leur a offert une nouvelle possibilité de perpétrer un génocide. Notre peuple ne s’y attendait pas, qui pourrait croire qu’après cent ans cela pouvait se reproduire ?

42.06
Quand on étudie l’histoire, on s’aperçoit que les choses se répètent et que rien ne change. Nous sommes déjà au 21ème siècle, mais leurs soldats ont encore des sabres. Dans les guerres d’aujourd’hui on n’a plus besoin de sabres. Mais eux, ils ont encore des sabres pour massacrer les infidèles, les giaours. Pour eux les Arméniens sont des giaours. Donc il ne suffit pas de tuer, il faut absolument éventrer. Ils ont gardé leur style.

46.13
Je crois qu’il est très important que tout ce qui s’est produit ne soit pas tombé dans l’oubli. Et il est très important que le monde entier sache ce qui est arrivé à votre peuple. C’est une des raisons de mes visites fréquentes. C’est la 60ème fois que je viens au Karabakh.

46.45
Je garde un espoir que le monde reconnaîtra vos souffrances et je prie pour cela. Je veux que la justice s’établisse et que vous ayez le droit de vivre en paix et en liberté sur votre terre.

47.13
Ma seule préoccupation c’est que la communauté internationale intervienne et qu’elle prenne une décision au profit des Arméniens vivants dans le Haut Karabakh et en Arménie. Je veux que la communauté internationale comprenne enfin ce qui s’est passé en réalité et pourquoi le peuple du Haut Karabakh ne peut plus vivre sous l’occupation de l’Azerbaïdjan.

48.00
C’est aussi la raison pour laquelle je fais venir des gens avec moi, en espérant qu’ils comprendront la réalité. J’espère aussi que votre peuple connaîtra la justice et la paix. Un peuple qui a tant vu et souffert, mais qui a gardé son courage et sa fierté.

48.31
Leurs souffrances ne seront jamais oubliées, car quand on se souvient des souffrances, on est conscient de l’importance de ce qui a été obtenu. Vous avez donné une nouvelle vie à votre très beau pays. Les gens qui viennent ici une première fois, n’imaginent même pas ce qui s’est passé dans ce pays il y a 10 ou15 ans. Ce qu’ils voient ici, cette beauté que vous avez recréée à partir des cendres, ce n’est qu’un partie de vos réalisations.





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